En lisant le roman de Christos Tsiolkas, La Gifle, je ne peux m'empêcher de penser à l'immense saut qui a été fait en bânissant le châtiment corporel en vogue depuis des siècles.
Loin de moi l'intention de vous dévoiler l'intrigue de ce roman, je soulignerai juste ce que tous les futurs lecteurs savent a priori: lors d'un barbecue, un enfant de trois ans (indiscipliné violent et grossier) en menace un autre plus âgé avec une bate de base-ball. Le père de ce dernier (une brute épaisse) lui administre une gifle. Les parents du garçon giflé (lui, un alcoolique démissionnaire et elle, excessivement protectrice et permissive) le dénoncent pour ce qu'ils considèrent être un abus. Là, les invités à la fête se doivent de prendre parti.
Les remarques entre parenthèse renvoient à mon interprétation personnelle des faits, vous l'aurez compris. J'avoue avoir eu beaucoup de mal à trouver un seul personnage un tant soit peu sympathique dans ce livre mais ça ne m'empêche pas d'avoir médité à propos du problème soulevé ici.
Il me paraît évident qu'il est incohérent de vouloir enseigner de bons principes (ne pas frapper) en frappant (notons que cela s'est fait depuis la nuit des temps et souvent avec les meilleures intentions). C'est là que le père "brutal" a fondamentalement tort à mon sens.
Cela posé, si je peux concevoir la colère ou le malaise des parents du bambin giflé, je reste bouche-bée face à leur évidente mauvaise foi et la négation totale de l'acte de leur enfant (brandir la bate de base-ball).
Cette histoire est située en Australie et montre du doigt ce type de société qui criminalise n'importe quoi au nom de la justice, comme beaucoup de pays anglo-saxons le pratiquent, hélas (le phénomène se répandant malheureusement aussi chez nous). D'où les dénonciations à foison qui doivent embarrasser la justice: doit-on dénoncer un homme pour un regard lascif, un commentaire salace (puisque c'est du harcèlement)? Doit-on finir en prison pour une gifle?
Nous sommes, je pense, en face d'une société malade de ses règles qui, à force de vouloir éviter tout obstacle, finit par criminaliser des actes (certes désagréables) en les sortant de leur contexte. Une société dans laquelle la loi (voire "l'hyperlégalisme") a pris le pas sur le sens critique, niant ainsi toute flexibilité mais créant aussi des victimes à tout vent. Imaginez-vous, en tant que femme, crier au secours à la police à chaque fois qu'un homme vous fait un commentaire salace? Cela implique aussi que vous ne pouvez vous défendre seule parce que vous êtes une femme et que vous avez besoin de la protection de la loi à tout moment. L'on en arrive donc à infantiliser une population qui, faute de libre-arbitre, devient systématiquement victime de tout et de rien.
Les cultures (est-ce vraiment une culture, d'ailleurs?) où la loi est transcendantale (en ce sens kantien, qui constitue une condition a priori de l'expérience, qui existe au-delà du concret, j'entends) tendent clairement plus vers ce type de dérive que les sociétés plus empiriques (basées sur l'expérience), plus flexibles (et non sans défauts, soit dit en passant).
Ce type de comportement amène la population à une paranoia collective dangereuse, rend les gens faibles (leur seul recours est la loi, pas leur aptitude à résoudre le problème), sans critère (puisque la loi pense pour eux) ni libre-arbitre, comme des victimes constantes ou des incapables. On en arrive donc à une espèce de paternalisme légaliste.
Entendons-nous bien: la morale comme principe transcendant me paraît juste (je n'entre pas dans le détail), là n'est pas la question, mais si on veut être juste, justement: Peut-on embêter la Justice pour des pécadilles?
Ceci n'est en aucun cas une apologie de la baffe. Je suis heureuse de l'abolition du châtiment corporel, (comme je suis contente du rôle du féminisme et des lois condamnant le harcèlement), ce que je dénonce ici sont ses multiples dérives et conséquences parfois néfastes sur lesquelles on devrait réfléchir afin d'"arrondir les angles" et atteindre véritablement cette fameuse idée de Justice tant prônée (et galvaudée?).
Là où la loi aide à mettre de l'ordre dans le chaos humain, peut-on décemment (pour ne pas redire justement) criminaliser tous les actes et instaurer dès lors davantage de chaos? Parce que c'est de cela dont il s'agit: à chercher des principes supériers partout, il n'y en a plus nulle part. A criminaliser tout, le crime le plus crapuleux se banalise. A force d'aller au tribunal pour des vétilles, ceux-ci finissent débordés et incompétents. Nous devenons donc tel Ulysse à la recherche de la naturelle et chaleureuse Ithaque, désorienté entre Charybde en Scylla, .
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