domingo, 23 de abril de 2023

Faut-il aller vers la mort en dansant?


"L'important n'est pas d'être heureux mais d'être digne de son bonheur"  Emmanuel Kant.

2 mai 1942, Vienne

Chère Trude,

J'espère de tout coeur que tu te portes bien. Je t'envoie des nouvelles de la vieille Europe, d'Outre-Mer comme on dit toujours.

J'ai l'air de plaisanter mais l'heure n'est pas à la plaisanterie. Tu as probablement bien fait d'émigrer vers des cieux plus propices. Ici, les nôtres disparaissent peu à peu. J'entends, notre peuple ainsi que nos cieux. Je ne comprends pas comment notre beau continent a pu en arriver là. Les nazis sont partout et nous préfèrent morts que vivants. Si encore ils nous assassinaient clairement, l'on pourrait pleurer nos morts et leur bâtir une tombe. Non, ici, ils disparaissent dans de prétendus camps dont on sait, somme toute, peu de choses.

Je me demande si, depuis les Etats-Unis, tu n'en sais pas plus que nous, au fond.

Comment vois-tu les choses? Et comment évolue ta vie là-bas? Y es-tu adaptée? Je sais qu'ils sont plus modernes mais je ne pense pas que ça te gène, tu t'es toujours gaussée des "simagrées religieuses de notre peuple", comme tu disais toujours. J'espère donc que tu as trouvé du sens outre-atlantique.

Je me réjouis de te lire, en tout cas.

J'ai une merveilleuse nouvelle à t'annoncer (enfin, j'espère!) et c'est par cette note optimiste que je terminerai ma missive: j'attends un enfant! C'est une grande joie pour nous, Viktor, moi et nos familles respectives, de penser à cet être en devenir à qui nous transmettront nos valeurs.

Je t'embrasse

Tilly.

15 juin 1942, Vienne

Chère Trude,

Je suis heureuse de voir combien tu aimes ton nouveau pays. Il s'agit là d'une adaptation-éclair et assez extraordinaire. Les rues de Vienne ne te manquent-elles jamais? Même si je sais que nous sommes différentes sur bien des points, je me demande s'il est possible de renoncer réellement à nos souvenirs d'enfance, notre beau continent (bien qu'à feu et à sang), cette merveilleuse ville impériale avec ses rues étroites, son odeur à pâtisserie. Quoi qu'il en soit, on nous  a proposé un visa pour les États-Unis, figure-toi! C'est une grande nouvelle. Viktor a la chance d'être renommé et il aura ainsi l'occasion de continuer son labeur dans un nouveau pays et moi, d'être à ses côtés et d'éduquer notre enfant qui naîtra dans six mois. Toutefois, il y a une ombre au tableau, c'est que ma belle-famille, mon cher beau-père, cet homme qui a tant fait pour notre communauté, aucun d'eux ne pourra nous accompagner. Je t'épargne les considérations administratives et je te dis d'ores et déjà que sa santé n'y résisterait pas.

Je commence à faire les bagages, je sens que le danger arrive et que nous pourrions disparaître d'un jour à l'autre, sans crier gare, d'un claquement de doigt (c'est gens-là ne s'embarrassent pas de scrupules) mais je suis tiraillée car Viktor, lui toujours si fort, semble voûté, épuisé et perdu.

J'espère que d'ici quelques mois, notre voyage sera arrangé; que notre exode, comme je dis en blaguant (mais ça ne fait rire que moi, toi aussi, peut-être?), aura été moins long que celui des Hébreux à la sortie d'Égypte.

Donne-moi vite des nouvelles,

Je t'embrasse

Tilly

27 juillet 1942, Vienne

Chère Trude,

Tu me sermonnes et je te comprends. Viktor te semble archaïque et démodé. Il faut aller de l'avant et changer d'airs, c'est une question de vie ou de mort. Tu ne crois pas si bien dire. Cependant, mon époux, ce savant, cet homme en quête de sens, ce professeur en questionnement, est tiraillé, lui si respectueux de Dieu et des nôtres. Tu me grondes et me dis que tout nous sourit et que ce visa est une opportunité unique qui nous est octroyée, et tu badines avec nos traditions millénaires en disant que c'est un cadeau de Dieu (ce Dieu, que tu écris en minuscule et auquel tu ne crois pas) que de pouvoir fuir.

Fuir, voilà où le bat blesse. Viktor ne veut pas fuir. Il dit que sans morale, un être humain devrait mourir. Quiconque met son éthique sous son bras, ignore ses parents, son peuple, ses ancêtres, ne mérite pas de vivre. Il vit, bien sûr, mais comme un crapaud, comme un chien, sans conscience ni sens, sans essence. Il vivote. "Comment abandonner les miens comme si j'étais un priviliégié? Ne pas remplir son devoir, c'est ne pas pouvoir se regarder dans le miroir le matin. Moise a sacrifié ses privilèges d'enfant princier pour sauver son peuple. Je ne vais sauver personne mais, au moins, je ne me serai pas échappé. Navré, Tilly, mais ce visa m'apporte plus de peines que de bien. L'accepter, c'est piétiner mon éthique de vie; ne pas l'accepter, c'est probablement mourir. Il n'y a rien d'héroïque là-dedans, juste le devoir envers les miens, envers papa qui est âgé et invalide".

Ce père, toujours ce père, cette référence et cette gratitude. C'est tout à l'honneur de mon époux, c'est pour cela que je suis tombée amoureuse de lui... et c'est probablement aussi pourquoi je le perdrai.

Et là, je n'ai même plus supplié pour notre enfant ou pour moi. À quoi bon? Je sais qu'il nous aime mais il a besoin de se voir comment quelqu'un qui a pris la décision la plus noble, quoi qu'inutile, comme Léonidas qui a sacrifié son corps et son armée pour son peuple.

Je n'ai plus supplié pour nous parce que je me suis imaginée, dans le futur, outre-mer, là-bas, comme toi, à l'abri; j'ai visualisé notre enfant nous interrogeant sur ses grands-parents. Peut-être sera-t-il un enfant ingrat (ça ne manque pas dans ces contrées, d'après toi) se fichant comme d'une guigne de sa lignée, auquel cas nous aurions échoué dans notre mission parentale. Viktor et moi sommes sûrs qu'engendrer sans éthique équivaut au désastre et à la perdition. Je suis sérieuse quand je dis que je préfèrerais notre enfant mort plutôt que de le voir immoral. Il est de notre devoir, du moins nous semble-t-il, de donner au monde des êtres doués de conscience. Peut-être sera-t-il, au contraire (et cela nous enchanterait), imbu de cette tradition qui nous a construits depuis des millénaires et là, que lui dirons-nous?: "Cher enfant, nous avons fui en abandonnant tes grands-parents à leur sort, nous n'avons pensé qu'à toi, rien qu'à toi". Et il nous dira, s'il ressemble à son père (et il lui ressemblera): "À quoi bon vivre si le sens même de mon existence est intrinsèquement lié au sacrifice de mes ancêtres? Ils sont morts pour que je puisse naître? En quoi ma vie aurait-il plus de prix? Et qui êtes-vous, vous mes parents, pour avoir jugé du bien-fondé de cette décision? Vous vous êtes pris pour Dieu? Vous n'avez pensé qu'à vous, à votre plaisir, votre confort, votre misérable existence". Que dire à ça, Trude? Tu en rirais sûrement mais, moi, j'en serais mortifiée. Comment regarder sa progéniture en face lorsqu'on subsiste sans dignité?

J'ai donc supplié avec un autre argument que je pensais imparable: son livre. "Si on ne part pas, jamais tu ne pourras écrire ton livre, jamais tu ne chercheras ni ne trouveras le sens de la vie parce que ton oeuvre sera détruite, confisquée, anéantie. Ta mission est de vivre pour faire passer  le message, pour aider les gens à trouver leur sens". Et là, il m'a regardé dans les yeux et a répondu "Tilly, comment pourrais-je prêcher le sens de la vie alors que j'aurais fui mes responsabilités? Je ne serai qu'un de ces lâches professeurs d'université pleurnichant sur son sort et content, pourtant, d'être en vie, de parler anglais et de jouer au base-ball, mais serais-je vraiment un homme digne de ce nom? Si je pars, si nous partons pour les Etats-Unis, je devrai renoncer à ma mission, à mon livre, parce que je ne pourrai plus jamais écrire ni aider qui que ce soit depuis la lâcheté, l'égoïsme, l'ignorance. Tu me disais l'autre jour que, quoi que je fasse, je resterais un privilégié. Je n'en ai que faire. Vois-tu,  on ne prêche que par l'exemple, pas par les mots ou les livres, un être humain est conforme à ses principes, ils ne sont pas au-dessus de nous, ils nous habitent et nous fabriquent. Seul Dieu nous regarde de haut, nous sommes au même niveau que nos idées et que nos choix.- Mais ce sont les livres qui véhiculent cet exemple, rétorquai-je, ces oeuvres que les allemands brûlent parce que la vérité les dépasse. Si tu n'écris pas, la mémoire de notre peuple et de Jehovah ne persistera pas". Il eut alors une réponse kantienne contre laquelle je ne pus rien: "L'important n'est pas d'être heureux mais d'être digne de son bonheur, Tilly". 

C'est là que j'ai su avec certitude que cet homme que je suis prête à aimer, quand bien même se sentirait-il indigne de vivre, avec sa mesqinerie, sa couardise, son égoïsme, son héroïcité aussi, eh bien cet homme ne pourra jamais m'aimer si je le force à aller contre ses principes. Il ne s'aimerait même pas lui-même et regarderait notre enfant en biais, pensant que, dans le fond, ça en a peut-être pas valu la peine. Il cesserait de me respecter, ça j'en suis persuadée, et je ne pourrai le supporter. Pour quoi vivre si celui qui compte le plus pour toi ne te respecte plus? Et il ne s'agit pas de ce crétin de Jules César dont la femme ne pouvait même pas être soupçonnée (je t'entends d'ici!). Il s'agit d'autre chose: le concept que Victor possède de moi  s'évanouirait à l'instant même où je me trahirais moi-même.

Alors, ce visa, cette permission tant attendue, eh bien, Trude, c'est un piège, une tentation pour tester notre loyauté et notre courage et contre ça, que puis-je faire? Tu me décris ta vie en banlieue, près du campus  où tu habites. ta vie sociale et tes inquiétudes d'américaine. J'ai eu la faiblesse de nous imaginer là, avec notre fils, moi, le bénissant, aimant ses cheveux, ses joues, l'observant, le nourissant... pleurant lors de son départ vers un autre femme que moi. Cela n'est réellement que poussière. Si je possède cette pulsion de vie (comme dit Freud, qui dit beaucoup de bêtises), je possède aussi la pulsion de dignité, en harmonie avec celle de Viktor, dont j'ai choisi d'épouser le sort.

J'ignore donc ce qu'adviendra de nous et de notre bébé. Comment doit-on vivre? Comment doit-on l'élever vers le divin, vers le haut? Et si l'on y arrive pas, comment supporter l'imperfection, le manque d'excellence? Tu me répètes que les américians que tu fréquentes (je ne voudrais pas généraliser) voient la vie de façon très simpliste: leur bonheur, leur confort et leur liberté. Quel type de chemin est-ce? Qu'est-ce que le bonheur? Le confort est un puits sans fond et la liberté... c'est celle de prendre le droit chemin, certainement pas de jouer à sauve qui peut! Nous vivons des temps troublés, fermer les yeux à la misère nous est impossible. Viktor est allé à la synagogue pour se recueillir, il en est revenue ne me disant qu'une voix lui avait scandé "Tu honoreras tes parents". Que dire à ça? Comment pourra-t-on dire à notre enfant qu'il doit nous honorer si nous ne l'avons pas fait nous-mêmes?

Bien des rumeurs circulent sur ce qu'il advient des nôtres et de tous ceux qui se dressent contre les nazis. L'une de ces histoires est belle et tragique. On raconte qu'une ancienne danseuse célèbre est morte en dansant dans ces fameux camps. Un allemand l'aurait reconnue et lui aurait demandé de danser pour lui, ce qu'elle fit (avait-elle le choix?). Ce faisant, elle retrouva son humanité (du moins, je préfère le croire) et s'approcha du soldat, saisit son arme et le tua. Les autres soldats lui tirèrent dessus, évidemment, mais je ne peux m'empêcher de penser que sa mort a été humaine et digne. Je veux dire quelle s'est rebellée, elle a retrouvé une étincelle de liberté, elle n'est pas allée à l'abattoir comme un agneau désarmé et soumis. C'est la vision que tu as de nous depuis tes contrées. Tu nous vois comme des brebis dociles, un troupeau tellement ancré dans sa tradition qu'il ne peut se défaire pour fuir et survivre. Tu as sans doute raison mais qu'y puis-je? Cette danseuse a-t-elle bien agi? Faut-il aller vers la mort en baissant la tête face au créateur, ou bien tenter d'y échapper en slalomant vers un autre pays (quitte à perdre notre essence)  ou encore s'y acheminer la tête haute, en dansant? Probablement est-ce l'unique question qui compte vraiment, puisque la mort est notre unique certitude en ce bas monde.

J'attends de tes nouvelles, comme toujours.

Bien à toi

Tilly


Note de l'auteur: Tilly Grosser, épouse du célèbre psychiatre Victor Frankl, fut envoyée dans un camp de concentration en septembre 1942 et n'a pas mené sa grossesse à terme. Elle mourut  lors de la libération du camp de Bergen- Belsen, écrasée par la multitude. Sa belle-famille a  entièrement disparu dans les camps de concentration. Seul son mari a survécu et a poursuivi sa recherche sur le sens de la vie.




Como Dios manda

 "Lo importante no es ser feliz, sino ser digno de felicidad"   Emmanuel Kant.

2 de mayo del 1942, Viena

Querida Trude:

Espero de todo corazón que estés bien. Te mando noticias del viejo continente, de ultra mar como siempre decimos. 

Parece que me estoy mofando pero, poca broma con el tema. Es probable que hayas hecho bien en emigrar hacia cielos más propicios.  Aquí, los nuestros van desapareciendo poco a poco. Me refiero a nuestro pueblo, y también a nuestros cielos. No entiendo como nuestro bello continente ha podido llegar a este punto. Los nazis están por todas partes y nos prefieren muertos, antes que vivos.  Si nos asesinaran claramente, podríamos llorar nuestros muertos y erigirles una tumba. No, aquí desaparecen en pretendidos campos de los cuales sabemos más bien poco. 

Me pregunto si, desde Estados Unidos, no sabrás más del tema.

¿Cómo lo ves? ¿Y cómo va tu vida allá? ¿Te has adaptado? Sé que son más modernos pero no creo que te moleste, siempre te has mofado de "los remilgos religiosos de nuestro pueblo", como solías decir. Espero que, allende, hayas encontrado sentido a todo esto. 

Me alegro de poder leerte, en todo caso.

Tengo una noticias maravillosa que contarte (¡ por lo menos, eso, espero!) y es por esta nota optimista que acabo mi misiva: ¡espero a un niño! Es una gran alegría para todos nosotros, Viktor, yo y nuestras familias respectivas, de pensar en esta futura criatura a quien trasmitir nuestros valores. 

Un abrazo

Tilly.

15 de junio del 1942, Viena

Querida Trude:

Estoy contenta de ver que te gusta tu nuevo país.  Se puede decir que es una adaptación  relámpago y extraordinaria.  ¿No echas nunca de menos a las calles de Viena? Incluso si sé que somos  diferentes en muchos aspectos, me pregunto si es posible de renunciar realmente a nuestros recuerdos de la infancia, nuestro bello continente (aunque asolado), esta magnífica ciudad imperial con sus calles estrechas, su olor a pastelería. Sea como sea, nos propusieron un visa para Estados Unidos, ¿te lo puedes creer? Es una gran noticia. Viktor es afortunado de ser conocido  y tendrá la oportunidad de seguir con su labor en un país nuevo e yo, de estar a su lado y de educar a nuestra niño que nacerá dentro de seis meses. Sin embargo, hay una sombra en esta estampa, es que mi familia política, mi querido suegro, este hombre que tanto hizo por nuestra comunidad, ninguno de ellos nos podrá acompañar. Paso de explicarte las consideraciones administrativas y te digo ya que su salud no se resistiría. 

Empiezo a hacer el equipaje, siento que el peligro acecha y que podríamos desaparecer de un día para otro, sin previo aviso, como en un abrir y cerrar de ojos (esta gente no tiene escrúpulos) pero me siento dividida porque Viktor, él siempre tan fuerte, parece sometido, rendido y perdido.

Espero que, de aquí a unos meses, nuestro viaje esté arreglado; que nuestra éxodo, como le llamo bromeando (pero sólo me hace reír a mi, me temo) habrá sido menos largo que él de los Hebreos saliendo de Egipto.

Envíame noticias tuyas lo más pronto posible.

Un abrazo,

Tilly

27 de julio de 1942, Viena

Querida Trude:

Me sermoneas y te comprendo. Viktor te parece tan arcaico como rancio.  Hay que seguir adelante y cambiar de aires, es cuestión de vida o muerte. Ya me lo creo. No obstante, mi esposo, este sabio, este hombre en busca de sentido, este profesor que siempre está cuestionándose, está dividido, él tan respetuoso de Dios y de los nuestros. Me echas la bronca y me dices que todo nos sonríe y que este visado es una oportunidad única que nos otorgan, y te mofas de nuestras tradiciones milenarias diciendo que es un regalo de Dios (este Dios, que escribes con minúscula y en quien no crees) el poder huir.

Huir, allí es donde duele. Viktor no quiere huir. Dice que sin moral, un ser humano debería morir. Quien sea que acalle su ética, ignore a sus padres, a su pueblo, a sus antepasados, no se merece vivir.  Esta persona vive, desde luego, pero sin esencia. Va tirando. "Cómo abandonar a los míos, como si fuera un privilegiado? No cumplir con su deber, es no poder mirarse al espejo por la mañana. Moisés sacrificó sus privilegios de niño-príncipe para salvar a su pueblo. Yo, no voy a salvar a nadie pero, por lo menos, no habré escapado. Lo siento, Tilly, pero este visado me trae más penas que alegrías. Aceptarlo, es pisotear mi ética de vida; no aceptarlo, es probablemente morir. No hay nada heroico allí, sólo el deber para con los míos, para con papa, que es anciano e inválido". 

Este padre, siempre, esta referencia y esta gratitud. Eso dice mucho de mi esposo, por eso me enamoré de él... y es probablemente por eso que lo perderé también. 

A estas alturas, no me molesté en suplicar por nuestro hijo o por mi. ¿Para qué? Sé que me ama pero necesita verse como alguien que tomó la decisión más noble, aunque inútil, como Leonidas quien sacrificó su cuerpo y su ejercito por su pueblo.

Dejé de suplicar por nosotros porque me imaginé en el futuro, en ultra-mar, allá, como tú, al amparo; visualicé  a nuestro hijo preguntándonos sobre sus abuelos. Tal vez será un niño ingrato (sobran por estas tierras, según tú) a quien le importará un carajo su linaje, lo que nos resultaría el fracaso de nuestra misión parental. Viktor e yo estamos seguros de que engendrar sin ética equivale al desastre y a la perdición. Lo digo en serio cuando afirmo que preferiría ver a nuestro hijo muerto antes que inmoral. Es nuestro deber, por lo menos es nuestro parecer, de dar al mundo seres dotados de consciencia. Quizá sea (y nos encantaría) una persona  imbuida de esta tradición que nos ha construido desde siglos y, entonces, ¿qué le diremos? "Querido hijo: Huimos dejando a tus abuelos a su suerte, sólo pensamos en ti, únicamente" Y nos dirá, si se parece a su padre (y se le parecerá): "Para qué vivir si el sentido mismo de mi existencia es intrínsecamente ligado al sacrificio de mis antepasados?  ¿Murieron para que yo pudiera nacer?  En qué medida mi vida tendría más precio? ¿Quiénes sois, vosotros mi padres, por haber juzgado la relevancia de esta decisión? ¿Os habéis acaso creído Dios? Sólo pensasteis en vosotros, en vuestro placer, vuestro confort, vuestra miserable existencia?". Qué se puede responder a esto, Trude? Te reirías pero yo, me mortificaré. ¿Cómo mirar a sus vástagos a la cara cuando sobrevivimos sin dignidad?

Rogué, pues, con otro argumento que me parecía imparable: su libro. "Si no marchamos, jamás podrás escribir tu libro, jamás buscarás ni encontrarás el sentido de la vida porque tu obra será destruida, confiscada, aniquilada. Tu misión es vivir para trasmitir el mensaje, para ayudar a la gente a encontrar su sentido".  Y fue cuando me miró a los ojos y contestó: "Tilly, ¿cómo podría predicar el sentido de la vida cuando yo mismo habría huido de mis responsabilidades? Sólo seré uno de estos profesores de universidad cobarde, llorando mi mala suerte pero feliz, a la vez, de seguir con vida, de hablar inglés y de jugar al base-ball, pero de verdad, sería un hombre como Dios manda?  Si me marcho, si partimos para Estados Unidos, tendré que renunciar a mi misión, a mi libro porque no ya podré escribir ni ayudar a nadie desde la cobardía, el egoísmo, la ignorancia. El otro día me decías que, hiciera lo que hiciera, siempre sería un privilegiado.  Me importa un pepino. Mira, sólo se predica con el ejemplo, no con las palabras o los libros; un ser humano está conforme a sus principios; no están por encima de nosotros sino que nos habitan y nos moldean. Sólo Dios nos mira desde arriba, estamos al mismo nivel que nuestras ideas y que nuestras decisiones.- Pero son los libros que vehiculan este ejemplo, contesté, estas obras que los alemanes queman porque la verdad les sobrepasa. Si no escribes, la memoria de nuestro pueblo y de Jehová no persistirá".  Tuvo entonces una respuesta típica de Kant a la cual no pude replicar: "Lo importante, no es de ser feliz, sino de ser digno de serlo, Tilly".

Fue cuando supe con certeza que este hombre al cual quiero amar, aunque se sienta indigno de vivir, con su mezquindad, su cobardía, su egoísmo, su heroicidad también, pues, este hombre jamás me podrá amar si le obligo a ir en contra de sus principios. No sé podría querer tampoco a si mismo y miraría a nuestro hijo de reojo, pensando que, en el fondo, quizá no habría valido la pena. dejaría de respetarme, de eso estoy segura, y no podría soportarlo.  ¿Para qué vivir si él que más cuenta para ti ya no te respeta? Y no hablo de este cretino de Julio Cesar cuya mujer ni siquiera podía ser sospechada (¡ya sé lo que me vas a decir!). Se trata de otra cosa: el concepto que Viktor tiene de mi se desvanecería en el mismo instante que me traicionaría a mi misma.

Entonces, este visado, este permiso tan deseado, pues, Trude, es una trampa, una tentación, para poner a prueba nuestra lealtad y nuestra coraje y, contra eso, ¿qué puedo hacer? Me describes tu vida en la periferia, cerca del campus donde vives, tu vida social y tus inquietudes norteamericanas. Tuve la debilidad de imaginarnos allá, con nuestros hijo, bendiciéndole, amando su cabello, sus mejillas, observándole, nutriéndole...   llorando el día de su partida hacia otra mujer. Sólo es polvo y cenizas. Si poseo efectivamente esta pulsión de vida (como dice Freud, que dice muchas tonterías), también poseo la pulsión de dignidad, en armonía con la de Viktor, cuya suerte escogí compartir. 

Ignoro, por lo tanto, lo que será de nosotros y de nuestro bebé. ¿Cómo debemos vivir? ¿Cómo debemos elevarnos hacia lo divino, hacia arriba? Y si no lo logramos, ¿Cómo soportar la imperfección, la falta de excelencia? Me repites que los norteamericanos que frecuentas (no quisiera generalizar) ven la vida de manera muy simplista: su felicidad, su confort, su libertad. Qué tipo de camino es ése?  ¿Qué es la felicidad? El confort es un pozo sin fondo y la libertad... pues, es la de coger el camino correcto, y no es de marchar y ¡salvese quien pueda!  Vivimos tiempos muy turbios, cerrar los ojos a la miseria es imposible. Viktor fue a la sinagoga para recogerse, volvió de allí confesándome haber oído una voz  escandiéndole "Honrarás a tus padres". ¿Qué se puede responder a eso? ¿Cómo podríamos decir a nuestro hijo que nos debe honrar si no lo hicimos nosotros? 

Circulan numerosos rumores sobre lo que es de los nuestros y de todos los que se levantan contra los nazis. Una de estas historias es bella y trágica a la vez. Cuentan que una antigua bailarina famosa murió bailando en uno de estos famosos campos. Un alemán la habría reconocido y le habría pedido de bailar para él, cosa que hizo (¿Acaso tenía elección?). Al bailar, recuperó su humanidad (por lo menos, es lo que prefiero creer) y se acercó al soldado, asió su arma y lo mató. Los demás soldados le dispararon, evidentemente, pero sigo pensando que su muerte fue humana y digna. Quiero decir que se rebeló y reencontró una chispa de libertad. No se fue al matadero como un cordero desarmado y sumiso. Es la visión que tienes de nosotros desde tu tierra lejana.. Nos ves como borregos, un rebaño tan  imbuido de su tradición que no puede deshacerse para  huir y sobrevivir.  Quizá tengas razón pero que podemos hacer? ¿Hizo bien aquella bailarina? ¿Hay que ir hacia la muerte agachando la cabeza frente a nuestro creador o intentar escaparse hacia otro país (incluso con el riesgo de perder nuestra esencia) o bien caminar la cabeza bien alta, bailando?  Probablemente sea la única pregunta que cuenta de verdad, ya que la muerte es nuestra única certeza en este mundo.

Espero tus noticias como siempre.

Siempre tuya,

Tilly


Nota de la autora: Tilly Grosser, esposa del renombrado psiquiatra Viktor Frankl, fue enviada a un campo de concentración en septiembre del 1942 y no pudo llevar su embarazo hasta el final. Murió duranta la liberación del campo de Bergen- Belsen, aplastada por la multitud. Su familia política desapareció enteramente en los campos de concentración. Solo su marido sobrevivió y continuó  buscando el sentido de la vida.