"Je me couperais les veines pour lui sans hésiter une seconde" (Denise, deux enfants)
Bon
nombre de mamans ont témoigné durant le processus de ce livre et ces
témoignages étaient souvent émouvants. N'empêche que la phrase qui m'a,
depuis le début, fait le plus frissonner est indéniablement celle-ci,
alors qu'elle n'est même pas un témoignage pensé mais bien un
commentaire spontané lancé dans une conversation informelle. J'avoue
n'avoir pas trouvé de paroles similaires lors des témoignages
"réfléchis", ce qui me laisse penser qu'il doit s'agir d'un mouvement du
coeur, spontané donc, très impulsif et somme toute naturel. Je me suis
donc permise de le prendre d'une conversation à bâton rompus que j'ai
eue avec une cousine il y a des années.
Une professeur de sociologie à
l'époque nous avait de même interrogé: "Qu'est-ce que nous ferions sans
hésiter pour nos petits?". Face au silence d'un auditoire sans enfants,
elle lança "Mourir, bien sûr!".
Une fois parents, ça tombe sous le sens... je suppose.
Rosa Montero, écrivaine espagnole, sans enfant, s'explique: "...
procréer est un pas de la maturité physique et psychique: seul cet
amour absolu permet de vaincre l'égoïsme individuel qui te fait mettre
ta propre intégrité au-dessus de tout. Je veux dire que les parents sont
capables de mourir pour leurs enfants: c'est un commandement génétique,
un recours de survie de l'espèce, mais aussi un mouvement du coeur qui
te rend plus complet, plus humain. Ceux qui n'ont pas d'enfants, nous
n'arrivons jamais à grandir à ce point."
Faut-il que cet amour soit fanatique, fort, ineffable et absolu pour accepter de mourir pour la bonne cause?
Bien,
mais lorsque l'on dit que l'on donnerait sa vie pour sa progéniture, ce
qui me paraît louable et "naturel", doit-on par ailleurs leur seriner
le sacrifice que l'on ferait pour eux? Avoir à le faire, c'est une chose
(tragique mais cohérente) par contre le dire, c'est ouvrir la porte à
une éventuelle culpabilisation de ses enfants, comme s'ils étaient
responsables de ce sacrifice extrême, comme si l'amour qu'on leur porte
était un poids et non un tremplin.
De même, et ce n'est pas si paradoxal, je me souviens avoir entendu Ingrid Betancourt
parler
de son calvaire aux mains des FARCS et de l'envie qu'elle en avait de
fuir et d'assumer également les conséquences, éventuellement mortelles,
de ses tentatives. Elle a dit "Le suicide... je l'ai toujours rejeté
parce que c'était rechercher la mort pour la mort alors que j'avais deux
enfants". Comme si être mère était à la fois donner éventuellement sa
vie pour son bébé mais ne pas se l'ôter aussi, pour le bien de son bébé,
toujours.
Inutile de s'étendre davantage sur le commentaire de
Betancourt. Etre parent, c'est comme être forcé à vivre, forcé à ne pas
mourir mais avec l'idée constante que l'on pourrait donner sa propre vie
pour faire vivre cet enfant. Equilibre précaire car comment sait-on
jamais si l'on fait bien de vivre courbé et soumis pour préserver sa
famille ou de se rebeller? Gioconda Belli le dit bien lorsqu'elle évoque
sa tumultueuse existence que c'était comme un devoir pour le futur de
ses enfants que de lutter contre la dictature au Nicaragua, de donner à
ses filles un pays meilleur, même si elle devait perdre la vie dans
cette lutte.
La progéniture nous ramène toujours à la nécessité de
vivre pour en prendre soin, ou celle de disparaître pour leur bien
aussi, ça se discute. Me revient en mémoire le personnage de Meryl
Streep dans Kramer contre Kramer, qui abandonne son fils parce
qu'elle ne se sent pas digne d'être maman, elle pense réellement qu'il
sera mieux sans elle. La même question se pose également pour ceux ou
celles qui s'ôtent la vie avec des enfants en bas âge ou qui les
abandonnent dans un moïse.
Au-delà de toutes ces considérations,
donner la vie, c'est aussi donner la mort en quelque sorte. Non pas que
l'on tue ses petits (c'est heureusement assez rare) mais, en leur donnant
naissance, on les rend forcément mortels. Cela peut paraître d'une
évidence crasse, j'entends, mais je voudrais souligner qu'il m'arrive
souvent d'y penser: mettre au monde, à part le bonheur indicible de
créer une nouvelle existence, c'est aussi y ajouter une nouvelle mort,
de nouvelles souffrances et deuils, des ruptures et des blessures.
Lorsqu'on l'on observe ce verre à moitié vide, on peut effectivement se
sentir oppressé car, au fond, quelle folie!
Je souligne cela,
bien que ce soit déprimant, parce que, souvent, lorsqu'on veut procréer,
on pense à court terme: le nourisson charmant, tout rose qui vous
sourit et l'on se projette rarement dans le futur et dans les
conséquences de nos actes, la mort, la décrépitude, la douleur. On a
raison, sinon, on n'engendrerait jamais, c'est un fait. N'empêche, y
penser de temps à autre est primordial aussi, je pense (et ceci dit sans
aucune intention de vous déprimer!).
Je terminerai ces réflexions par les paroles de Montero: "Moi, je ne mourrais pour personne. C'est dommage".